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Allaiter tout en travaillant à son compte : pas si simple !

20/11/2023

Les chiffres des travailleurs indépendants ne cessent d’augmenter et les femmes y sont pour quelque chose : aujourd’hui, elles ne représentent pas moins de 41% des micro-entrepreneurs en France. Si la gestion de leur planning peut jouer en faveur de l’allaitement qu’elles souhaitent continuer à la reprise de leur travail, ce système réserve cependant ses propres complexités. 

Une adaptation plus aisée mais pas parfaite

Angélique, 44 ans, a deux casquettes professionnelles qu’elle réunit conjointement dans sa semaine de travail : thérapeute, elle officie également en tant que coach et formatrice professionnelle. 100% indépendante, elle a accouché de Cerise en mai 2022 et décide de reprendre son activité quatre mois plus tard. Elle raconte : « Pour moi, c’était une évidence de continuer l’allaitement. Cerise est mon deuxième enfant et cette fois-ci, j’ai réussi à me libérer de la pression sociale. J’adore l’allaitement mais je dois aussi avouer que je suis traversée par deux sentiments antinomiques. D’un côté, je profite d’un lien unique avec ma fille. De l’autre, je me sens parfois esclave, voire prisonnière des exigences qu’il m’impose. Mais avec le recul, je ne regrette rien ».

À la fin de son congé maternité, ce choix de l’allaitement n’est pas sans conséquence sur son activité. « En tant que thérapeute, j’ai mon propre cabinet et je gère mon emploi du temps, ce qui est pratique. Seule contrainte : j’ai dû diminuer le nombre de patients que je recevais dans la journée. En tirant mon lait trois fois par jour, c’est 1h30 de consultations en moins. Si mon travail s’est donc adapté à mon envie de continuer d’allaiter mon enfant, les conséquences se sont ressenties directement sur mon chiffre d’affaires ». (On rappelle qu’en cas de salariat classique, l’heure d’allaitement dédiée à la collaboratrice au sein de l’entreprise n’est pas forcément rémunérée : cette condition dépend du bon-vouloir de l’employeur ou de sa convention collective).

En parallèle de son cabinet, Angélique reprend sa spécialité de formatrice en se rendant directement dans les bureaux de ses clients. Une expérience en demi-teinte, pour laquelle elle reste marquée par certains comportements. « À mon premier jour de reprise, je rentre dans cette entreprise privée, les seins prêts à exploser et leur demande de m’indiquer un endroit où je pourrais tirer mon lait. En réponse, on me regarde de haut en bas et on m’annonce que rien n’est prévu à cet effet. On me propose finalement le local technique de l’entreprise. Depuis, j’ai arrêté de collaborer avec eux ».

L’inconfortable partage de son intimité

Noémie, 38 ans, illustratrice indépendante connaît particulièrement bien la problématique de l’allaitement pour l’avoir partagée avec ses trois enfants, Merlin, Achille et Amande. Après quelques années passées en région parisienne, elle réussit à s’installer en Bretagne, mais consent à des aller-retours dans la capitale deux fois par semaine. Trois mois après la naissance de son premier enfant, elle reprend ce rythme : « Je prenais le train pour Paris à 5h du matin, Merlin avait tété la nuit. À 9h, je tirais mon lait dans les toilettes du TGV ».

Arrivée à Paris, les conditions ne sont pas beaucoup plus favorables : « Je travaillais pour une boîte dans laquelle les clients venaient justement me voir, parce que j’étais sur place le jour en question. J’ai géré mon affaire toute seule, sans prévenir mon boss, dans les toilettes, munie de mon tire-lait électrique, de ma glacière et de mes petits glaçons… ». Elle retient de cette époque une pression psychologique particulièrement dure à assumer : « Dans les toilettes du TGV, l’environnement était tellement sale que psychologiquement, c’était dur de tirer mon lait. Il m’est arrivé d’être bloquée ou d’avoir mal ».

Un mal-être qu’a également pu ressentir Angélique de nombreuses fois. « En plus d’être à contre-courant en continuant l’allaitement à la reprise de notre travail, on se retrouve dans des situations grotesques. Une fois, un dirigeant m’a proposé son bureau pour que je tire mon lait. Initiative sympa, jusqu’à ce qu’il rentre dans la pièce. C’était humiliant ». Affectée par ces expériences négatives, elle n’oublie pas pour autant la compréhension et l’élégance d’autres personnes avec lesquelles elle a collaboré (notamment dans le secteur public) qui lui permettent de relativiser sur la question : « Si c’était à refaire, je ne changerais rien. Mais je conseillerais quand même d’annoncer les choses en amont, pour éviter de se retrouver face à des gens tout à fait hermétiques à la situation ». Optimiste, Angélique incite donc à communiquer clairement sur le besoin de tirer son lait, malgré le partage d’intimité inconfortable que cela engendre : « Aujourd’hui, quand j’anime une journée de sept ou huit heures, je dois annoncer à mes clients qu’ils ont un exercice à faire le temps que je puisse tirer mon lait. Immédiatement, j’ai droit aux yeux qui se fixent sur mes seins. C’est lourd et pénible. Mais nécessaire. Le fait d’assumer permet d’instaurer un respect mutuel ».

Côté Bretagne, le rythme de Noémie s’est apaisé, les aller-retours à Paris ayant cessé. Après Merlin et Achille, la petite Amande a pu profiter de l’allaitement de sa mère dans des conditions beaucoup plus favorables. « En étant 100% indépendante et sur place, cela m’a facilité la vie » explique Noémie. « J’arrive à tirer mon lait tout en travaillant en même temps, je le fais quand je veux et autant de fois que nécessaire. À l’époque, quand Amande avait du mal à dormir la nuit, j’étais très fatiguée, ce qui a eu des conséquences sur ma production de lait. On m’a conseillé de tirer un peu plus pour stimuler la lactation, ce qui a été possible parce que j’étais installée à mon compte ». À noter que Noémie n’a profité qu’assez peu de ces dispositions confortables, la petite Amande, chez la nounou la journée, refusant le biberon. « Elle se rattrape le soir en rentrant, après son bain. J’ai aussi pris l’habitude de cuisiner des flans de lait maternel avec de l’agar-agar ». Une adaptabilité à toute épreuve, qui prouve à quel point les nouveaux challenges ne manquent jamais dans la vie des jeunes mères…

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Par Laurène SECONDÉ

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