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Elles ont (difficilement) réussi à combiner allaitement et entreprise :

13/10/2023

Si la loi française impose un cadre réglementaire aux entreprises employant de jeunes mères désireuses de continuer l’allaitement à la suite de leur congé maternité, sa mise en pratique s’avère bien souvent périlleuse. Rencontre avec deux femmes encore marquées par cette expérience.

De l’importance de compter sur soi

Elodie et Pauline, 35 et 34 ans, ne se connaissent pas mais partagent sans le savoir de nombreux points communs. Femmes actives et engagées au sein de leur carrière, elles sont toutes les deux mamans d’un petit garçon qu’elles ont tenu à allaiter, et ce, malgré leur retour en entreprise. Dans leurs récits respectifs, des émotions et des réflexions aux similitudes frappantes témoignent des difficultés auxquelles elles ont dû se confronter pendant des mois. À commencer par la manière dont elles s’y sont prises pour s’informer sur le sujet.

Originaire de Gironde, Elodie travaille pour une grande entreprise française spécialisée dans le traitement des eaux usées. Elle attend que son fils Max ait 8 mois pour retrouver ses fonctions, qu’elle réinvestit avec la ferme intention de maintenir l’allaitement. Inquiète à ce sujet, elle prend elle-même contact avec la DRH¹ à la fin de son congé maternité : « Pour m’informer sur les possibilités de continuer mon allaitement au travail, je me suis renseignée seule, notamment grâce à un groupe d’entraide sur Facebook : mon entreprise n’a pas abordé le sujet. J’ai décidé de prendre les devants en les appelant. Au téléphone, on me confirme que j’ai le droit à une heure d’allaitement par jour de travail, mais qu’elle sera déduite de mon salaire. Pas de possibilité de négociation. Je crois que le fait d’évoluer dans un milieu majoritairement masculin n’a peut-être pas joué en ma faveur… Les DRH étaient pourtant des femmes ». Une réponse qui rappelle que si l’entreprise doit légalement accorder cette heure d’allaitement aux jeunes mères, elles n’ont pas l’obligation de les rémunérer (une condition qui dépend directement du bon-vouloir de l’employeur ou de la convention collective à laquelle il est rattaché).

Pauline, qui reprend de son côté son job de consultante en stratégie digitale et marketing à Paris alors que son fils Pablo a 4 mois, peut compter sur une entreprise un peu plus soutenante : « J’avais reçu un guide de la parentalité de leur part, au début de mon congé maternité. Mais celui-ci ne faisait malheureusement pas mention de l’allaitement. Et puis, entre ce que déclarent les RH et la réalité, il y a un monde ! Les réunions passent avant l’allaitement ». Convaincue des bienfaits du lait maternel pour son fils (Pablo souffre d’un RGO), elle bénéficie à ce moment-là de l’accompagnement d’une conseillère en lactation : « Elle m’a permis d’identifier en amont les difficultés que j’allais rencontrer et de mieux y faire face. J’avais besoin de comprendre ».

Tirer son lait en entreprise : un acte de bravoure ?

De retour au travail, Elodie (la maman de Max), n’a pas d’autres choix que d’accepter des conditions compliquées pour tirer son lait : « Je me cachais dans les vestiaires et j’utilisais ma pause-déjeuner pour m’y consacrer. Je le faisais sur un tabouret bancal, en me positionnant du mieux que je pouvais à l’abris des regards ». L’entreprise nationale dont elle est collaboratrice a pourtant l’obligation légale de lui proposer un local destiné à cet effet, puisqu’elle emploie plus de cent salariés. Elle raconte : « Si mon boss et mon équipe ont été conciliants et arrangeants, cela n’a pas été le cas des DRH. En voulant faire les choses bien, de manière honnête et transparente, on s’est confronté à elles dans toute leur rigidité ». Dépitée, elle déplore l’état d’hygiène critique du vestiaire dans lequel elle se réfugie : « C’est l’endroit où on se change en tenue de travail, avec nos chaussures de sécurité ». Elle précise qu’elle investit, en parallèle, dans sa propre glacière électrique. « J’avais le droit d’utiliser le frigo commun, celui où tout le monde rangeait sa nourriture, mais je me voyais mal y stocker celle de mon enfant ».

Dans un contexte un peu plus favorable, Pauline bénéficie du soutien des DRH à son retour au travail, sans pour autant réussir à faire respecter entièrement ses droits : « J’ai choisi de tirer mon lait deux fois trente minutes dans ma journée. C’est un deal avec la direction qui est basé sur la confiance : en général, je travaille en même temps ; le sujet de la rémunération n’est même pas évoqué. On m’informe par ailleurs que si je n’ai pas accès à un endroit spécialement dédié à l’allaitement, je peux utiliser le local du service médical ». Pauline travaille alors pour un groupe qui emploie plus de 10 000 collaborateurs. « Au niveau de l’hygiène, les critères étaient respectés. Mais j’ai quand même préféré rentrer chez moi pour mes pauses allaitement. Outre le manque d’intimité, l’utilisation de ce local qui fermait à 17h m’obligeait à m’adapter à ses horaires ».

Soutenue par une relation de confiance avec son manager, elle admet aussi que le télétravail l’a beaucoup aidée dans la continuité de son allaitement. La situation se corse en revanche quand ses missions reprennent chez un client : « Sur place, aucun espace nurserie, mais un « espace chill ». Comprendre : des fat boys partout et des gens qui entrent et sortent à leur guise ! ». Elle complète : « Dans cette situation, on a une certaine exigence de tenue. Je m’imaginais mal tirer mon lait au milieu de mes clients. Cela nous met dans une position très inconfortable ». Prise au dépourvu, elle se résout donc à se réfugier dans les toilettes de l’entreprise. Et se confie : « J’ai connu des moments de telle solitude ! Cachée dans les toilettes à nettoyer les biberons dans l’évier, en espérant que personne ne rentre… Dévisser la téterelle, vider le biberon dans le sac de congélation, placer ce même sachet dans la glacière, complétement stressée… Le bruit du tire-lait est aussi source d’immense malaise. À ce moment-là, on se demande vraiment pourquoi on fait ça. Quel inconfort, pour profiter d’un simple droit et d’une chose si naturelle ! ».

Si Elodie et Pauline ont donc réussi à assurer la continuité de leur allaitement à leur retour au travail, le récit de leur expérience démontre avant tout d’une ténacité et d’un courage à toute épreuve. Elles soulignent toutes deux l’importance de la pression à encaisser pour parvenir à leurs fins et ponctuent d’ailleurs leur témoignage de la même remarque : « Les fumeurs ont droit à leur pause cigarette, mais les mamans galèrent pour leur pause allaitement… C’est lunaire ! ».

À noter par ailleurs que les cas de Pauline et Elodie représentent une minorité des jeunes mères de retour dans leur emploi. En France, seulement 24 % des femmes 2 poursuivent l’allaitement à la fin de leur congé maternité. Les chiffres de la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) prouvent également que le taux d’allaitement baisse significativement aux trois mois de l’enfant, date de reprise du travail pour la mère.

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Par Laurène Secondé

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